L'épopée Safran Aircraft Engines de 1895 à 1944
Renommée Safran Aircraft Engines en 2016, la SNECMA résulte du regroupement de plusieurs entreprises aéronautiques privées dont les actions ont été transférées à l'Etat par ordonnance gouvernementale en mai 1945. Et l’histoire commence encore bien plus tôt, dès 1895. Découvrez-la dans ce premier épisode qui retrace la grande épopée de Safran Aircraft Engines.
Louis Seguin et la Société anonyme des moteurs Gnome
Formé à l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris, Louis Seguin commence dès 1895 à construire des moteurs industriels et des moteurs de bateaux. Il participe, en 1900, à la création de la Société Thévin Frères, Louis Seguin & Cie, dont les ateliers s’installent en bord de Seine à Argenteuil. Une cinquantaine de personnes y fabriquent sous licence des moteurs Gnom de la firme allemande Oberursel Motoren. Monocylindres industriels, ils sont destinés à l'entraînement de machines-outils dans les ateliers. Louis Seguin lance rapidement son entreprise pour fabriquer son propre moteur, dont le nom est inspiré de son prédécesseur allemand : Gnome.
Dès son apparition, le moteur Gnome prend la première place parmi les moteurs fixe à pétrole. Apprécié pour sa robustesse et sa rusticité, il conquiert rapidement la faveur des ministères qui l'imposent sur la plupart de leurs marchés. Le développement du moteur à explosion est en plein essor depuis la naissance de l'automobile et Louis Seguin entreprend, dès 1903, l'étude de moteurs dans ce secteur.
Le 6 juin 1905, il fonde avec ses frères et leur cousin René Luquet de Saint Germain la Société anonyme des Moteurs Gnome, qui vise dans un premier temps le marché des moteurs pour bateaux, puis pour automobiles. Sous l'impulsion de son frère, Laurent Seguin, l’entreprise se lance dès 1908 dans la fabrication d’un moteur d'aviation rotatif. Il a la particularité d'avoir un vilebrequin fixe autour duquel tournent les cylindres du moteur disposés en étoile. Cette architecture présente deux avantages principaux : un refroidissement par air permanent, même lorsque l'avion est à l'arrêt et une régularité de fonctionnement.
C’est au printemps 1909 qu’ont lieu les premiers essais du moteur Oméga, adapté sur un canot automobile du type hydroplane. Bientôt, des pilotes commencent à s'intéresser à ce moteur puissant et léger. Henri Farman, ancien cycliste et coureur de fond devenu aviateur français, échange son moteur Antoinette de 50 chevaux (ch.) et 145 kg contre un Oméga de 75 kg seulement pour la même puissance, avec lequel il bat le record du monde en distance et durée, le 27 août 1909. Une belle publicité !
Au cours des années 1910, les avions équipés de moteurs Gnome et leurs pilotes réalisent des premières et établissent des records :
- Premier vol d’un hydroplane, piloté par Henri Fabre, le 28 mars 1910 ;
- Plus grande durée en vol et plus grande distance parcourue sans escale par Henri Farman, le 18 décembre 1910 ;
- 100 km/h atteints par Léon Morane à bord d’un monoplan Blériot ;
- Plusieurs records de vitesse et de durée de vol avec passagers par Busson, en mars 1911 ;
- Plus grande altitude (3 910 m) par Roland Garros, le 4 septembre 1911 ;
- Première victoire en combat aérien pour le sergent Frantz et son mécanicien Quenault contre un avion allemand en octobre 1914.
D'autres constructeurs se lancent alors dans la fabrication de moteurs rotatifs, notamment Louis Verdet, fondateur de la Société des moteurs Le Rhône.
Louis Verdet et la Société des moteurs Le Rhône
Dans les années 1910, Louis Verdet, ingénieur des Arts et Métiers, étudie un moteur rotatif constitué d’un cylindre en étoile refroidi par air ambiant d’une puissance de 60 ch. et d’une masse de 88 kg. A partir de cette étude, suivie d'un développement très court, il lance en 1911 la fabrication d'un moteur de même conception mais de puissance plus élevée : un neuf cylindres de 80 ch. – le 9C « Rototo ».
Le 29 septembre 1912, Louis Verdet fonde la Société des moteurs Le Rhône et poursuit la fabrication du moteur 9C qui équipera les Morane Parasol de la première escadrille de chasse Française créée en 1914.
Au milieu des années 1910, les sociétés Gnome et Le Rhône se livrent une lutte acharnée pour la conquête du marché des moteurs aéronautiques. A la fin de l'année 1913, la Société des Moteurs Gnome est en surcapacité de production tandis que la Société des Moteurs Le Rhône est en sous-capacité. C'est pourquoi, dès janvier 1914 s'opère un rapprochement qui va se terminer un an plus tard par un rachat pur et simple : la Société des Moteurs Le Rhône cède 2750 actions à son concurrent. En mars, Le Rhône fusionne ses usines avec celles de Gnome qui maîtrise la délicate fabrication industrielle des rotatifs. Deux mois plus tard, leurs bureaux d’études sont réunis. La fusion est effective le 12 janvier 1915, alors que la Première Guerre Mondiale bat son plein et que l’aviation connaît un essor sans précédent.
La Société des moteurs Gnome et Rhône
La création de la Société des moteurs Gnome et Rhône (SMGR) est définitivement validée lors de l'Assemblée Générale extraordinaire du 20 mars 1915. Louis Seguin gère les ventes, Louis Verdet les usines et Laurent Seguin les bureaux d'études.
Cette nouvelle société poursuit avec succès la fabrication des moteurs Le Rhône 9J, Gnome Monosoupape et Lambda de 80 ch.. Ces machines s'illustrent sur différents avions : Potez, Morane, le monoplan Blériot d’Adolphe Pégoud (qui a réalisé le premier looping en 1913) équipé d'un moteur Lambda, le Caudron G3 équipé du Le Rhône 9C.
Au cours de cette période fructueuse pour Gnome et Rhône, de nombreuses licences sont cédées de par le monde. Ainsi, Le Rhône 9C de 80 ch. et le Gnome Oméga de 50 ch. sont construits en Australie, aux Etats-Unis, en Russie, en Allemagne et en Italie. La fabrique Impériale de Russie produit en plus de l'Oméga, le Gnome « Mono » et le Le Rhône 9J de 100 et 110 ch.. En Grande-Bretagne, la société Bristol fabrique également l'Oméga et les Le Rhône 9G, 9J, 9R.
En 1917, une filiale « Forge et Fonderie » est créée à Gennevilliers et les fabrications mécaniques sont alors transférées à l'usine de Kellermann, en région parisienne. L’année suivante clôture cette intensive production de moteurs pour faire place à une accalmie du secteur aéronautique dans son ensemble. C’est également l’année de la mort de Louis Seguin.
À l'issue de la Première Guerre mondiale, la baisse des commandes militaires pousse la Société des moteurs Gnome et Rhône à se diversifier. Ainsi, au début des années 1920, elle possède 29 filiales et assure 37 productions différentes, qui vont du tracteur aux machines textiles, en passant par les meubles frigorifiques, les machines à coudre, les machines à écrire, les moteurs, les châssis automobiles et les motocyclettes... Les pertes d'exploitation se cumulent et les bénéfices chutent.
Nommé administrateur-délégué de la société en 1923, Paul-Louis Weiller entreprend une vaste restructuration. Il recentre l'activité sur le métier de base : l'aviation, conservant néanmoins la fabrication des motos. Innovateur technologique et social, Paul-Louis Weiller opère un redressement spectaculaire de la société qui devient l’une des plus puissantes de l’industrie aéronautique mondiale.
Louis Blériot, Gabriel Voisin et La Société anonyme des Aéroplanes Voisin
Première firme d’aviation au monde, la Société anonyme des Aéroplanes Voisin a été fondée en 1905 par Louis Blériot et Gabriel Voisin.
Implantée à Billancourt, la société produit diverses machines dès 1906. Elle fabrique notamment le « Florencie », appareil à ailes battantes, un hélicoptère, le « Bolotoff », des planeurs biplans dérivés des « Chanute » stabilisés par un empennage cellulaire. La même année, la société crée une motocyclette actionnée par une hélice aérienne tractive qui, conduite par Anzani, atteint 80 km/h.
En 1907, Gabriel Voisin rachète à Louis Blériot sa part du fonds. Charles Voisin rejoint son frère et la firme devient alors « Les Frères Voisin, appareils d'aviation ». Cette année-là, plusieurs commandes prestigieuses sont passées à la société :
- Un appareil pour Léon Delagrange ;
- La nacelle, les transmissions, l'hélice, les gouvernes et les équilibreurs du dirigeable « La Ville-de-Paris » ;
- Un appareil pour Henry Farman, avec lequel il réalise le premier voyage de ville à ville (Moumelon-Reims).
Dans les années 1910, la construction évolue rapidement. Les charpentes en bois des premiers appareils sont remplacées par des charpentes métalliques tubulaires. C’est aussi la naissance de l’aviation militaire.
Au début de la Première Guerre Mondiale, la société est au faîte de son développement. L’entreprise occupe 45 000 m² et compte 1 250 collaborateurs. La première quinzaine du conflit mondial exige des avions un service exceptionnellement dur. Les départs et les atterrissages se font sur tous terrains. Les appareils ne peuvent être abrités. Les constructions en bois souffrent de cette situation. Cependant les « Voisin » résistent avec succès et bientôt l’Etat français les impose à la plupart des constructeurs.
Avec la concurrence américaine, l’entre-deux-guerres est une période difficile pour la Société Voisin. Gabriel Voisin décide d’abandonner l’aviation et adapte ses ateliers à la construction automobile. Si elles connaissent un certain succès, les voitures Voisin restent des machines de luxe au prix élevé et l’entreprise connait à nouveau des difficultés.
En 1937, Paul-Louis Weiller manifeste un grand intérêt pour les ateliers et le personnel qualifié de la société Voisin. Une association avec Gnome et Rhône leur permet de rebondir avec la réparation de moteurs tels que « Jupiter », « 14 N » ou « 14 Mars ».
Louis, Marcel, Fernand Renault et La Société des Moteurs Renault-Aviation
Louis, Marcel et Fernand Renault fondent officiellement la Société Renault Frères le 25 février 1899, à Boulogne-Billancourt. Connue comme constructeur automobile, la société s’est également lancée dans l’étude des moteurs d’avions dès 1907.
Entre 1908 et 1914, 17 constructeurs choisissent ainsi Renault pour équiper 49 types d'avions différents. En 1914, quand arrive la guerre, plusieurs pionniers de l'automobile se lancent dans l'aviation. C'est le cas de Rolls-Royce qui fabrique des moteurs français sous licence avant de créer ses propres modèles. Hispano-Suiza fait de même.
La société des avions Caudron, constructeur français d’avions créé en 1909, connaît des difficultés. Son rachat en 1933 offre à Renault l’occasion d’étendre ses activités à l’aéronautique et d’offrir ainsi un nouveau débouché pour ses moteurs. La société anonyme des avions Caudron (ou Caudron-Renault) est alors créée pour développer des avions légers.
L'organisation industrielle reste toutefois déficiente, avec des fabrications dispersées entre les usines Renault à Boulogne et Caudron à Issy-les-Moulineaux. La situation est clarifiée en 1937 : les éléments structurels et la motorisation sont fabriqués par Renault au sein de la Société des Moteurs Renault-Aviation (SMRA) et l'assemblage est effectué par Caudron.
Eugène de Dietrich et l’entreprise Lorraine-Dietrich
L’entreprise française Lorraine-Dietrich naît des conséquences du traité de Francfort de 1871, qui impose l'annexion de l'Alsace-Moselle par l'Empire allemand. A l’origine, elle est spécialisée en construction d’automobiles, de matériel roulant ferroviaire, de matériel lourd et de moteurs d'avion.
En 1879, afin de poursuivre ses livraisons aux compagnies de chemin de fer françaises, Eugène de Dietrich fonde une usine à l'ouest de la nouvelle frontière, à Lunéville en Lorraine. En 1897, la création d’une société distincte soumise à la législation française est décidée : elle prend le nom de « Société de Dietrich et Compagnie de Lunéville ».
En 1905, la famille de Dietrich se retire de l'affaire et l’entreprise se transforme en Société anonyme. Elle prend le nom de Société lorraine des anciens établissements de Dietrich et Compagnie de Lunéville, plus connue sous l'appellation de Lorraine-Dietrich.
En 1907, une deuxième usine est créée, cette-fois en région parisienne, à Argenteuil. Cette usine se spécialise dans la fabrication de voitures de tourisme, les « Lorraine ». L'usine de Lunéville se spécialise dans la production de matériel ferroviaire, mais aussi de véhicules lourds utilitaires et de voitures de course.
La Première Guerre mondiale amène Lorraine-Dietrich à se tourner vers la fabrication de matériel militaire lourd (camions, wagons, blindés, automitrailleuses), tandis que les usines d'Argenteuil se consacrent à la fabrication des moteurs d'avions conçus par l’ingénieur Marius Barbarou.
Nationalisation et naissance de SNECMA
En difficulté financière au milieu des années 1930, la société Lorraine-Dietrich est nationalisée en 1937 et prend le nom de Société Nationale de Construction de Moteurs (SNCM), avant d'être reprise par Gnome et Rhône en 1941. Cette dernière a également absorbé la Société Voisin sous forme de filiale en 1938. La nationalisation de Gnome et Rhône en août 1945 donne naissance à la Société Nationale d'Études et de Construction de Moteur d'Aviation (SNECMA). Devenue Atelier aéronautique de Billancourt, la SMRA est nationalisée en 1944. Son intégration à la SNECMA signe la fin des moteurs d'avion Renault.
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